“Nous devons agir ensemble, nous devons manifester de la solidarité!” Interviews d’ouvriers dans une usine d’électronique chinoise en Pologne

par Inicjatywa Pracownicza (Mai 2012/Mars 2013)

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Que fabriquent les ouvriers de l’usine Chung Hong ?

Kasia : Nous montons l’ensemble des composants sur les circuits imprimés destinés aux téléviseurs fabriqués par LG.

Mateusz : Nous effectuons aussi les essais fonctionnels. Nous utilisons des machines Fuji et la technique SMT (de montage en surface). À l’aide de la technologie sérigraphique, nous appliquons la pâte de soudure sur un stratifié nu. Ensuite la machine dispose les composants sur le circuit et les fixe avec de la colle. Le tout va dans un four, nous soudons les composants et montons à la main toutes les pièces qui ne peuvent pas être assemblées par la machine. Enfin, le produit semi-manufacturé est soumis aux essais fonctionnels.

Vous tenez quel poste dans l’usine ?

Mateusz : À présent je suis technicien supérieur. Avant de commencer à travailler chez Chung Hong, Łukasz et moi nous travaillions en Angleterre. C’était une expérience dure pour nous, alors il y a quelques années, nous avons décidé de revenir en Pologne. À l’usine, je surveille le fonctionnement des machines et décèle des erreurs éventuelles pour assurer le bon fonctionnement de la production. Je vérifie également la présence de défauts sur les cartes mères.

Kasia : Auparavant, je travaillait illégalement en Allemagne. J’ai décidé de revenir afin d’obtenir un contrat de travail légal et de toucher de l’argent pour ma retraite. J’ai commencé à Chung Hong comme opératrice et suis devenue contrôleuse qualité. Je vérifie que nos produits satisfont aux critères demandés par le client.

Jola : Je suis opératrice en chef. J’applique la pâte de soudure sur les cartes et monte les composants. C’est un travail dur. Je dois le réaliser avec beaucoup de soin. Si je fais une erreur, on me licenciera. De plus, nous subissons une pression constante pour satisfaire aux exigences extrêmement élevées.

Comment est-ce que les gens font face à des quotas aussi élevés ?

Mateusz : C’est difficile de satisfaire aux exigences imposées par le patron. Il ne tient pas compte des nombreux facteurs qui affectent le bon fonctionnement de la production. Il suffit que des matériaux ne soient pas livrés sur la chaîne de production ou que des composants soient en rupture de stock dans l’entrepôt ou encore qu’une des machines a un défaut, et il sera impossible d’atteindre le quota.

Kasia : Si on ne termine pas le travail à temps, il faut venir travailler pendant sa journée de repos. D’ailleurs, même si nous répondons aux exigences, non seulement nous ne recevons aucune prime mais on relève nos objectifs.

Est-ce que l’accélération de la production a un effet sur la qualité des produits ?

Łukasz : L’usine pratique des règles souples. Lorsque le rythme de production est accéléré, la qualité n’a plus cours, c’est la quantité qui compte. L’usine embauche des techniciens supplémentaires qui réparent les produits défectueux, mais cela ne suffit pas pour atteindre un niveau élevé de qualité. Pendant les périodes de faible production, en revanche, nous faisons très attention à la qualité des produits.

Kasia : Une fois nous avions arrêté la chaîne de montage parce que les produits présentaient des défauts. Mais un chef l’a remise en route, sans se soucier des défauts – il est indispensable de produire autant que possible.

Łukasz : Un autre facteur qui a des conséquence sur la qualité c’est qu’aux époques d’augmentation de la production, on fait appel à de nouveaux ouvriers. Ils commencent à travailler sans aucune formation adaptée. La semaine dernière, une nouvelle salariée a été mise à un poste de contrôle qualité sans aucune formation. Elle avait peur et n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. J’ai demandé au chef de la production comment il pouvait accepter une telle situation, que la nouvelle salariée n’ait reçu aucune consigne ? C’est seulement parce que je suis intervenu qu’elle a eu la formation.

Pourquoi avez-vous décidé de créer un syndicat ?

Łukasz : C’est la dégradation des conditions de travail qui nous a motivés : la caisse sociale a été supprimée ; de plus en plus d’ouvriers travaillaient en CDD ou par l’intermédiaire d’agences de travail temporaire ; nous n’avons pas touché d’avantages ni de prime annuelle ; nos salaires n’ont pas été augmentés depuis longtemps. Certains ouvriers continuent de gagner moins que le salaire minimum.

Kasia : Auparavant, nous recevions une prime de 200 % pour le travail le dimanche. Maintenant si nous faisons des heures supplémentaires ou travaillons un jour férié, on nous accord des jours en échange, lorsque le rythme de production est ralenti. Toutes les autres primes ont été supprimées. À Pâques, nous avons été informés que nous n’allions recevoir qu’une prime annuelle. À Noël, ils ont supprimé cette prime aussi, précisant que nous devions être reconnaissants que l’usine existe encore. Le fait d’être traités comme des machines nous blessent aussi. Il y a quelque temps j’était en arrêt de maladie. Le premier jour, j’ai reçu un message du directeur m’informant que je ne devais pas être malade, puisque cela entraîne des pertes pour l’entreprise. Il m’a demandée de me justifier et de revenir immédiatement à l’usine. Le directeur de Chung Hong répète inlassablement que rien n’est plus important que de venir travailler.

Jola : En plus, le patron réduit constamment les dépenses de l’entreprise au détriment de la santé des ouvriers. Au printemps et en été, il arrive que la température dans l’usine dépasse les 33° Celsius. Des gens s’évanouissent. On n’allume pas les climatiseurs pour limiter les coûts d’électricité. C’est ainsi que fréquemment, les ouvriers échangeaient leurs idées sur la nécessité de créer un syndicat. Nous avions besoin de prendre des mesures afin de croître nos forces par rapport au patron.

Qu’est-ce qui vous a motivé pour rejoindre l’Initiative ouvrière ?

Łukasz : Nous avons entendu parler de l’Initiative ouvrière pour la première fois par des tracts distribués dans l’usine et dans les cars d’entreprise par une des ouvrières. Dans le vestiaire nous avons trouvé des affiches de l’IO sur la discrimination contre les travailleurs intérimaires. Il nous a motivés à tel point que nous avons décidé de mettre en pratique l’idée de créer un syndicat. Nous avons pris plus de renseignements sur l’Initiative ouvrière et de l’opinion générale, nous étions favorables à la manière dont le syndicat fonctionnait.

Mateusz : Tout d’abord, nous aimions le caractère non hiérarchique de l’IO et son attitude sans concessions, ainsi que l’absence de structures bureaucratiques qui pourrait limiter notre activité.

Gosia : Peu de syndicats sont présents dans les usines situées dans les Zones économiques spéciales. Les grands syndicats ne s’intéressent pas à ces sites de travail parce que beaucoup d’ouvriers ici ont des contrats à durée déterminée. Pour nous, il est important de soutenir les salariés des agences de travail temporaire aussi, parce que cela nous permet de surmonter les divisions entre ouvriers et de renforcer notre position par rapport au patron.

Comment est-ce que le patron a réagi à la création du syndicat ?

Kasia : Les premiers mois, le patron n’a pas reconnu l’existence d’un syndicat à Chung Hong. Il n’a pas réagi à nos lettres, il ne nous a pas fourni la réglementation sur le travail et les salaires, ni sur la caisse sociale, il ne nous a pas consultés sur les licenciements ni sur les avenants aux contrats de travail. Pendant six mois nous avons exigé un tableau d’affichage d’informations. Nous l’avons finalement obtenu, mais on nous a également donné un contrat à signer stipulant qu’en échange nous devions régler 60 złoty par mois et consulter la direction au sujet du contenu que nous souhaitions y afficher.

Jola : Le patron provoquant tant de problèmes, les autres salariés pensent que nous ne faisons rien. Certains viennent régulièrement me voir pour demander quand est-ce que nous allons commencer à nous battre pour une augmentation salariale. Je réponds que j’aimerais commencer de suite mais que depuis des mois nous n’arrivons pas à obtenir de notre patron la règlementation sur le travail et les salaires. Comment alors pouvons-nous rendre nos revendications plus précises et exprimer formellement les revendications syndicales ?

Mateusz : Par ailleurs, la direction nous contrôle et nous surveille constamment. Des chefs nous suivent comme des ombres, ce qui nous empêche d’avoir accès à tous les ouvriers et de parler avec eux. Après les heures au travail, nous retournons chacun dans nos localités d’habitation respectives, qui sont parfois à 100 km les unes des autres. Cela complique l’organisation d’une réunion en dehors de l’usine. Depuis le début, la circulation de l’information pose un problème majeur et rend aussi notre action syndicale plus difficile.

Pouvez-vous décrire la première phase du comité syndical ? Quels ont été vos premiers postulats ?

Łukasz : Le début n’a pas été facile. Nous avons eu du mal à réunir dix personnes pour constituer légalement le comité. Seules cinq personnes sont venues à la première réunion. Lorsque le comité s’est enfin mis à fonctionner, les gens ont commencé à y adhérer, et nous avons aujourd’hui plus de soixante-dix membres.

Mateusz : Tout d’abord, nous avons voulu savoir pourquoi la caisse sociale avait été supprimée. Dès la création du syndicat, nous avons envoyé une lettre à l’employeur pour lui poser la question, mais plusieurs mois se sont passés avant que nous ayons reçu de réponse de sa part, accompagnée de la règlementation de la caisse. Actuellement nous allons ouvrir un litige collectif en vue de sa renégociation.

Vous travaillez dans cette usine depuis des années. Pouvez-vous me dire quelles sont les méthodes utilisées par les ouvriers pour faire face à ces rudes conditions de travail ?

Gosia : Après mon embauche par Chung Hong, je travaillais sur un banc de contrôle visuel de composants de grande taille. Mais comme je n’arrivais pas à maintenir le rythme accéléré exigé pour cette tâche, je me suis contentée de déplacer les composants du chariot aux rayonnages. Je ne vérifiais pas la qualité des produits, car la chaîne de montage allait trop vite par rapport à mes capacités physiques.

Mateusz : La méthode la plus répandue utilisée par les salariés est l’absentéisme. Il y a des gens qui s’absentent pour maladie à chaque fois qu’ils ont travaillé quelques jours dans l’usine.

Kasia : Il est arrivé aussi que les salariés refusent d’effectuer des heures supplémentaires. Dernièrement, le patron a voulu que des gens s’inscrivent sur un tableau d’heures supplémentaires, mais tout le monde l’a boycotté, personne ne s’y est inscrite. Evidemment, sa réaction n’a pas tardée. Il a annoncé qu’il y avait des commandes exceptionnelles et nous a obligés à faire des heures sup. Actuellement, nous sommes tenus d’effectuer 150 heures supplémentaires chaque année.

Quel est le rapport entre les ouvriers qui travaillent en CDI et ceux qui sont salariés d’agences de travail temporaire ?

Mateusz : Il y a quelque temps, pour la majorité des salariés de l’usine Chung Hong, les contrats de travail étaient à durée indéterminée. Cependant, lors du ralentissement de la production, beaucoup d’entre eux ont été licenciés. L’employeur a dû leur verser des indemnités conformément à la loi sur les licenciements collectifs. Depuis cette époque, de plus en plus d’ouvriers sont embauchés par l’intermédiaire d’agences de travail temporaire. En cas d’augmentation de la production, les intérimaires représentent plus de la moitié de l’effectif. Ils travaillent trois mois au maximum avant d’être renvoyés. Des salariés en CDD qui souhaitaient adhérer au syndicat, plus aucun ne travaille ici. Nous n’avons aucun contact avec eux.

Łukasz : Pendant longtemps nous nous sommes demandés comment faire pour soutenir d’une façon ou une autre les ouvriers en CDD, mais nous n’avions pas la moindre idée. Nous ne savons pas comment les défendre. Le recrutement par l’intermédiaire des agences de travail temporaire constitue une véritable tragédie.

Gosia : J’étais salarié d’une agence, et j’ai senti un écart énorme entre les ouvriers en CDI et ceux qui étaient en CDD. J’ai appris que les salariés en fixe ne veulent pas nouer des liens plus étroits avec ceux qui travaillent en CDD. Ce n’est pas logique de s’approcher d’eux, puisqu’il seront licenciés dans deux semaines de toute façon.

Comment envisagez-vous votre activité en tant que syndicaliste chez Chung Hong ?

Mateusz : Nous ne nous attendons pas à des miracles. Nous insistons, cependant, sur une amélioration de nos salaires et conditions de travail, et nous voulons qu’on nous respectent et nous traitent avec dignité. Nous allons mettre fin à l’intimidation et l’humiliation constantes de ouvriers ainsi qu’à la violation systématiques de nos droits.

Jola : Très souvent, j’avais envie de crier au patron ce que je pense de lui et du travail à Chung Hong. Je voulais lui dire combien le fait de travailler ici détruit ma vie. J’étais prête à le faire même si cela me coûtait mon travail. En fin de compte, cependant, je n’ai jamais osé le faire. Maintenant nous créons une structure ensemble qui nous permet de transformer les relations entre employeurs et salariés. Nous entendons l’utiliser à bon escient, et nous espérons être efficaces. Toutefois, si nous sommes seuls, nous ne changerons pas radicalement les choses. Nous avons besoin du soutien d’autres ouvriers. Nous devons agir ensemble, dans un esprit solidaire. Nous ne pouvons changer notre situation que si nous sommes ensemble.


“Nous ne sommes pas des machines” – Lutte ouvrière dans une usine d’électronique chinoise en Pologne par friends of gongchao (Mars 2013)

 

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